Journal de bord(s)

J’ai soudain l’énergie qui semble me vider le corps, le laissant sans repos et sans force, presque inerte. Moi qui aime tant passer du temps devant l’ordinateur, j’ai l’impression que les écrans m’avalent. Ma tête se cogne contre mon front dans l’après-midi, elle manque d’air. A l’arrière, mes pauses ont le même profil que mes heures de travail, et vice-versa. Je sirote un grand thé en discutant avec un collègue dans mon bureau, une pièce vocale, créée sur Discord. Cela fait du bien, de se parler un peu, de retrouver les voix, mais le petit icône à travers l’écran me pèse sur les yeux, je voudrais retrouver la petite salle de pause, son canapé griffé et les tâches de café sur la moquette grise.

Je sens mon humeur fluctuer dans les respirations du soleil, dans l’équilibre fragile des tâches que l’on se donne et celles que l’on reçoit, à tâtons. J’apprends à y modeler des compromis, des choix, entre l’aspect rassurant des tâches quotidiennes et concrètes, l’abstraction des horizons forcément lointains et les fixations ponctuelles. Se creuser des heures pour soi, commencer des projets qui paraissent des montagnes, se contraindre à travailler, naviguer entre les réunions. Dehors, j’entends les voisins cuisiner et faire le ménage. La fenêtre ouverte, on peut distinguer les éponges qui grattent, les seaux d’eau que l’on verse dans la cour, le claquement de la vaisselle et les vrombissements de l’aspirateur. Le bruit régulier des touches de mon ordinateur change en fonction que j’utilise celui du bureau ou celui de la maison et là aussi, par rapport aux premiers jours, la frontière se distant.

Alors, je note. Parfois, indistinctement, je me sens dériver, alors je me rattache. À ce que je mange, à ce que je fais. J’écris des listes comme on plante des ancres dans le sable ; je planifie au plus bas de la comète. Je m’encourage à écrire quotidiennement, même si c’est pour ne rien dire, et à lire. Et puis, je cuisine pour reposer mes yeux des écrans multipliés, pour me concentrer sur les aliments et leurs couleurs. Je cuisine pour manifester mon amour et pour trouver du plaisir. J’essaie d’apprendre à décaler doucement les perspectives et à réfléchir ce que ma bouche souhaite car j’ai le temps de demander à mon corps s’il souhaite manger.

Dans les échos, il y a aussi le reflet des injonctions liées à la nourriture, et les amas d’angoisses qu’elles portent avec elles. Certains moments, alors que je vois que réapparaissent de fortes envies de contrôle, je saisis à quel point mes points d’être s’entrelacent et convergent. Je me vois buter à plusieurs lieux de ma vie sur des miroirs qui se répondent. C’est normal, sûrement, de revenir comme un réflexe à son mode d’être le plus naturel dans ces conditions. Un sursaut, une envie de pouvoir maîtriser des choses, à ce moment où un contexte nous renvoie à une certaine expérience de l’impuissance.

Car je suis chez moi, et le monde dans sa grande dimension devient presque chaque jour un peu plus flou, et lointain. La caisse de résonnance des réseaux sociaux me devenait insupportable, alors mon esprit a décidé de jouer à chat. Mais ma colère est toujours à fleur de peau et j’aurais envie de tout cramer.

Tenir, se contenir, profiter, et tout ça en même temps. Je suis avec toi. J’apprécie comme rarement le soleil du matin qui se reflète dans la chaleur douce de mon thé, lorsque l’acidité sucré d’une pomme s’écoule sous ma langue. Mais il y a aussi le poids de mon dos qui se crispe peu à peu alors que la journée avance, comme on s’écroule, les errances de l’humeur et la volonté d’être partout et nulle part à la fois.

Tu rentres plus tôt, et avec toi, j’avance, un jour après l’autre.

**
Camp NanoWrimo, jour 9

Laisser un commentaire