C’est à même le temps que je fatigue. L’extérieur est saturé, les nuages serrés les uns contre les autres, tassés, au gouffre de la pluie, de l’orage, ou de la colère. Je voudrais pourtant pouvoir me fondre dans cet espace inclus, dans sa forme renfermée, et m’y mouvoir, comme on retient la pluie.
J’ai retrouvé le temps découpé et son rythme ramassé. Progressivement, les fenêtres dans la cour se referment. La rue retrouve son agitation, et on déambule à nouveau. Et c’est une masse de fatigue qui m’attrape, me retient. Je ressors mon agenda, l’horizon dépasse d’un coup la silhouette d’une semaine. Une avalanche. Je voudrais pouvoir à nouveau tout jouer au dé, retrouver le monde au hasard et la suspension du temps.
Mais les morts teintent de leur désespoir une mascarade de liberté. Et puis, si je l’écoute, la rue n’est pas rumeur car les cris l’habitent.
L’été. L’été dans son profil patiente à la porte, et ses ciels bleus infinis, et ses jeux de paumes. L’été murmure et laisse percer de sa chaleur, sa chaleur immense et menaçante, agressive et rassurante. Moi, je voudrais que l’été soit une longue soirée, dans sa tiédeur pure, son odeur de fraicheur et les promesses du temps.
On ne m’attend pas. Et je voudrais à la fois courir me battre, continuer à reprendre ma respiration, et m’en aller loin dans des espaces fantasmés, jouer à être plus légère. Une attraction qui me disperse, et m’épuise.
Je revois les visages, il y a ce profond sentiment d’étonnement, qui doucement se disperse. Je te connais et te dessine, à travers ces continuum dispersés. Je n’avais plus vu ces jambes et ce corps globalement debout, juste des images assises, mais il y avait toujours ces yeux. Entre les mots que l’on lit (les mediums sont si nombreux), ce que l’on a écouté (parfois difficilement « répète ? Ma connexion a planté je crois ») et ceux que l’on entendait même sans qu’ils soient vraiment formulés, il y avait la béance de la présence. Théoriquement clair, essentiellement inexplicable.
Mais pourtant, maintenant, ça se bouscule.
La foule retrouve peu à peu sa place,
Je me demande toujours où je suis, c’est normal ; mais la bousculade me prend la poitrine, dans son impatience, dans ce qu’elle porte en elle, dans ce que j’y dépose consciencieusement (le mouvement appelle à nouveau, il dit : « et toi ? tu vas où ? »).
C’est à la fois me sous et me surestimer,
Dans mon empreinte individuelle
Et dans l’importance de ma boussole.
Pourtant, c’est un pas après l’autre. Tous les soirs, je répète. Un pas, puis l’autre, sur un chemin qui s’emballe toujours si je regarde plus en avant.
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Photographie de Jason Black.