La période est spéciale, flottante même. Dans ce continuum de doutes, d’incertitudes, il y a pourtant ce sentiment diffus, qu’il faudrait « profiter » du confinement, profiter pour faire des choses « utiles » : se cultiver, se (re)mettre au sport, apprendre une langue, se lancer dans un projet. Il y a eu comme une atmosphère de début d’année, un parfum de résolutions.
Derrière, il y a toujours cette toile de normes qui vient distinguer des activités jugées nobles (la lecture par exemple – et encore, pas tous les livres -), cette toile qui rappelle, aux femmes surtout, les règles domestiques ; le confinement devient le moment où il faut faire un grand ménage et cuisiner des repas maisons sains, variés et j’en passe.
La blague.

Déjà, cette injonction semble supposer que nous disposons tout.e.s de plus de beaucoup plus de temps disponible, c’est faire fi des personnes qui continuent à travailler à l’extérieur ou de celles qui doivent, par exemple, s’occuper de leurs enfants ou d’une personne vulnérable.
Pour les personnes qui travaillent à distance, comme c’est mon cas, l’injonction à la productivité peut se traduire dans le travail. Il faudrait tout faire pour travailler autant qu’avant (dans l’attente de travailler plus ?). Naissent alors les articles proposant des astuces pour organiser son travail à la maison, pour être efficace : il faut se lever à heures fixes, se créer une routine, un espace de travail, faire du sport, « bien » manger…

Je ne nie pas l’intérêt de ce type de démarche. Se créer une nouvelle routine m’est d’une grande aide et me permet d’éviter, dans ces moments où les frontières ne sont plus symbolisées par le fait d’aller se rendre au travail, que ma vie professionnelle vienne trop rapidement envahir ma vie personnelle.
Mais merde.
À quel moment passerait-on de la nécessité de gérer, au niveau individuel mais aussi collectif, cette crise qui, littéralement, nous empêche, à la conception d’un temps « libre » qu’il faudrait « rentabiliser » ?
Au-delà de la gestion de l’ennui, qui peut être compliquée, il y a la logique, qu’il ne faudrait pas « perdre » son temps.
(Sur)vivre, c’est déjà pas mal, non ?
Par ce que, consciemment ou non, ce contexte nous fatigue, profondément. Il s’agit de se réadapter dans des cadres de vie chamboulées, de faire face à une anxiété, vive ou lancinante, de s’habituer à une forme d’incertitude qui bouche l’horizon et empêche une véritable projection, d’être éloigné.e de ses proches, de voir ce magnifique temps de printemps sans pouvoir, vraiment, en parcourir les contours.
C’est fatiguant, alors faire moins, tâtonner, ne rien faire, déprimer, ce n’est pas grave. On ne va pas faire semblant que tout est normal, que cela ne nous atteint pas. Le temps libéré que nous avons, nous avons le droit d’en faire du temps libre.

C’est important de pouvoir parler de ses astuces qui permettent de garder un certain cap, de partager ses expériences et ses essais. Par exemple, la cuisine me permet de faire une pause dans les écrans, de prendre soin de nous, de penser à autre chose. Mais, je pense important aussi de se rappeler que, particulièrement en ce moment, on fait ce que l’on peut, et c’est déjà bien.
Se féliciter d’être là, de ne pas sortir. Faire sa part, comme on le peut. Se remercier de ne rien faire pour prendre soin de soi. Se rappeler que bien manger, c’est manger ce qui nous permet de tenir, physiquement et psychologiquement. Et puis, revendiquer le droit de ne rien foutre.
L’énergie, s’il y en a, elle nous sera sûrement précieuse pour cet après à la fois lointain et toujours proche, pour lequel il faudra se battre face à l’offensive libérale, aux injonctions à « faire des efforts » (pour qui ? pour quoi?).
La flemme.
C’est vrai, le temps n’est pas un contenant qu’il faudrait remplir à tout prix. Mais notre société a un problème d’angoisse et de culpabilité avec le temps. On n’accepte pas toujours de le laisser filer (en fait, de le laisser n’être que du temps de vie). C’est presque quelque chose qu’il faudrait réapprendre pendant ce confinement…
Tout à fait, le confinement fait loupe sur des problématiques qui concerne notre rapport au temps de manière globale, avec une sorte de logique économique (il faudrait à tout prix « optimiser », « rentabiliser » son temps) qui est très pernicieuse.
De lire cet article chasse toute culpabilité, et cela fait du bien, merci ! Prendre le temps de retrouver son corps, d’être à l’écoute de soi, de nouer avec un nouveau rythme. Accueillir l’inconnu, les émotions qui nous traversent, l’étalement du temps. Oser se perdre, s’égarer, quitter la ligne… ou non, d’ailleurs ! Le plus important, finalement, c’est de sortir de toutes les injonctions, fuir la norme médiatique, si elle nous blesse, si elle ne nous correspond pas.
Depuis le début du confinement j’ai eu peu de journées « détente » à base de tranquillité, de temps vraiment libre ; à plusieurs reprises j’ai essayé (notamment hier) de lâcher du lest et de ne rien imposer à personne (moi y compris) dans la maison. Bon, il a fallu faire à manger quand même, mais sinon repos. Sauf que du coup c’était pas du repos ; les gamins sont devenus insupportables. Aujourd’hui reprise d’une routine plus soutenue, de tâches ménagères en tout genre en plus d’activités un minimum encadrées pour les marmots. C’est là qu’on prend la pleine mesure de la galère maternelle (même pendant le confinement, sans vouloir obéir à l’incitation omniprésente d’utiliser tout ce temps à bon escient : bah on y est obligés, la poisse ^^ – mais j’ai pas le droit de me plaindre, c’est ma raison de me lever le matin !)
C’est clair que la maternité rend les choses différentes ! En revanche, j’aurais dit que tu es tout à fait légitime de te plaindre ;), même si tes enfants t’apportent bcp de bonheur !